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Retour à la terre

Au milieu des pousses de haricots qui s'élèvent vers le ciel, s'agitent les bêches et les pelles dans une danse macabre. Entre les cliquetis et le bruissement de la terre s'évaporent les cantiques. Une foule de villageois s'entremêlent pour pleurer le petit Pacifique.

Ce matin, l'ambiance est morose dans la salle à manger. Donata, directrice de l'école du village a les yeux mouillés. "C'est notre petit Pacifique! Il est partis hier matin au bord du lac Ruhondo pour chercher l'herbe à vache avant l'école. Avant de remonter au village, il s'est baigné avec son ami d'enfance et voisin. Après être sorti de l'eau une première fois, il a voulu y retourner, mais il n'avait plus la force de revenir jusqu'à la rive. Son ami s'est jeté à l'eau pour le secourir, mais il est arrivé trop tard..."

Le petit Pacifique est un enfant bien connu du village et du foyer. Membre des "bâtisseurs de ponts pour la paix", il avait l'habitude d'aller aider la maman de Janvière au champ de haricot tout près de chez lui. Il y allait chaque fois qu'il la voyait.

"Nous allons à l'enterrement à 11h00, qui vient?" lance Janvière.

Peu avant midi, toute l'école est réunie et de nombreux villageois sont là. Les enfants de la classe de 5e primaire portent chacun une petite fleur. Le cercueil blanc fleurit progressivement. Chaque arrangement est soigné, même tressé en couronne. Ces ornements issus des jardins et des champs gagnent en quintessence par leur côté rupestre.

Durant la célébration on évoque l'incompréhension, l'incommensurable douleur, le non-sens,... Mais on questionne aussi le vraie sens de la vie... Mais surtout ce qui peut bien faire sa réussite... Pourquoi la longueur d'une vie serait garant de sa réussite?

Vers 13h30, le cortège funèbre reprend sa route. Les porteurs prennent la tête suivi d'une foule qui s'étend sur la route à perte de vue. Tout le monde se rend chez Pacifique. Les maisons se retrouvent noyées dans un bain de foule. Les gens se faufilent partout pour entourer la famille et pour vivre ces derniers moments, amassés, ensemble.

Derrière la maison, dans le jardin, la terre est éventrée. Les hommes déposent le cercueil. L'absoute s'achève au parfum de l'encens. Le père se tient devant avec à la main, l'image de son garçon. Le travail commence. Les hommes déposent des rondins, puis étendent la paille et enfin déposent une paillasse. Les bêches se mettent en mouvement sur le rythme des cantiques. Toute la communauté s'associe jusqu'à le dernière poussière au retour à la terre.

L'enterrement n'était plus un vocable pour désigner une cérémonie, il prenait son vêtement littéral et nous faisait entrer dans une expérience nouvelle pour moi. Le temps était long, mais plus il durait, plus le spectacle changeait de nature. La danse macabre faisait place à une danse mystique. Les cantiques renversaient les cliquetis. L'oncle planta la croix. Tout est accompli.

Les forces motrices de ces hommes au travail et la force des voix semblaient purger la douleur. La communauté se prenait en charge sans substituer son travail de deuil à des sous-traitants ou encore des machines...

Le papa dit quelques mots, puis tout le monde se tint les mains levées au ciel pour un dernier chant. Plus qu'un symbole, la force du geste est dans son effet : une cohésion solide et solidaire.

La terre brûlée par le drame a révélé mystérieusement son incandescence.

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